En France, l’épouse d’un homme détenu à l’isolement pendant 21 mois sans inculpation ni procès a déclaré à 5Pillars que son emprisonnement avait pour but d’avertir les musulmans de ne pas s’impliquer dans l’activisme politique.
Abdelhakim Sefrioui, 63 ans, a été arrêté au lendemain du meurtre de l’enseignant Samuel Paty en banlieue parisienne en octobre 2020, après que celui-ci a montré une caricature du prophète Muhammad (psl) nu à ses élèves.
Avant que Paty ne soit tué, et alors que l’incident faisait le tour des réseaux sociaux, Sefrioui a tenté d’intervenir et de faciliter la discussion entre l’école et les parents musulmans, mais son offre de médiation a été refusée.
Il a ensuite produit une vidéo à l’extérieur de l’école avec une élève et son père dans laquelle Paty a été traité de “voyou” et l’école a été invitée à le sanctionner pour ses actes.
Mais malgré le fait que Sefrioui ne connaissait pas le tueur (un immigré russe de 18 ans Abdoullakh Abouyedovich Anzorov) ni ses intentions, les autorités l’ont accusé d’être impliqué dans un attentat terroriste.
La famille d’Abdelhakim Sefrioui est soutenue par le groupe de défense CAGE. Sa femme a déclaré à 5Pillars: “Abdelhakim est un bouc émissaire car le tueur a été abattu par la police. Son incarcération est un avertissement aux musulmans qu’il ne faut pas parler de politique. C’est du chantage – soit nous acceptons ce que l’État décrète pour les musulmans, soit nous sommes accusés de terrorisme.
“Abdelhakim ne connaissait pas cette école ni la famille qui avait diffusé l’information sur M. Paty. Il a reçu un texto du père dont la fille avait M. Paty comme professeur. Il a reçu un SMS selon lequel elle avait été renvoyée de l’école parce que pendant un cours il avait exposé des caricatures et les élèves musulmans avaient dû quitter la salle pendant que les autres pouvaient y rester – en d’autres termes, de la ségrégation.
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«Abdelhakim a téléphoné au père pour vérifier les informations et lui a dit qu’il devait contacter l’école pour leur demander ce qui se passait et pourquoi l’enseignant avait fait ce qu’il avait fait. Le lendemain, ils se sont retrouvés devant l’école et sont allés voir la directrice pour lui demander si les faits étaient véridiques et pour exiger une sanction administrative. C’est là que tout a commencé.
“Après cela, Abdelhakim a fait une vidéo où il a interviewé le père et sa fille mais il n’y avait aucune incitation à la violence dans la vidéo. Il ne dit même pas le nom de l’enseignant, bien qu’il ait réclamé une sanction administrative. Mais ce n’était pas un discours de haine. Aujourd’hui, Abdelhakim est accusé de ‘complicité d’assassinat dans une opération terroriste.’ Mais ce qui frustre vraiment nos avocats, c’est qu’il n’y a rien qui le relie au crime. Il n’a eu aucun contact avec le tueur donc il n’y a rien. On ne peut pas accuser quelqu’un de complicité si l’on ne connaît pas l’auteur principal. Il ne savait rien de ses projets. Il ne savait rien.”
Samuel Paty
Abdelhakim Sefrioui est père de trois enfants, grand-père et militant communautaire de longue date, critique de l’islamophobie en France, notamment du ciblage des organisations musulmanes par l’État français.
Il dirigeait également une organisation (désormais dissoute par les autorités) établie en mémoire du cheikh Ahmed Yassine, le fondateur du Hamas, appelée le “Collectif Cheikh Yassine.” Il a organisé et participé à d’innombrables manifestations pro-palestiniennes à Paris et à des activités de soutien au peuple palestinien en France.
Le meurtre de Samuel Paty le 16 octobre 2020 par un acteur solitaire, qui n’était ni parent ni élève, a provoqué l’horreur dans tout le pays.
Le président français Emmanuel Macron a déclaré que l’incident était “une attaque terroriste islamiste typique” et que “notre compatriote a été tué pour avoir enseigné la liberté d’expression aux enfants.”
Abdelhakim Sefrioui a été arrêté le lendemain sous l’accusation de “complicité d’assassinat terroriste.” Il fait toujours l’objet d’une enquête, un an et demi plus tard, ce qui signifie qu’il n’est ni inculpé ni jugé.
En vertu de la législation antiterroriste française, il est possible d’être détenu sans inculpation ni procès pendant quatre ans. La “détention provisoire” prolongée en France a été critiquée par l’organisme mondial de surveillance de la justice pénale, Free Trials.
Son organisation, le “Collectif Cheikh Yassine,” a été dissoute par le gouvernement le 21 octobre 2020, ainsi que d’autres organisations musulmanes, dont la principale organisation caritative Baraka City et l’ONG anti-islamophobie CCIF.
Au cours des deux dernières années, Sefroui n’a été interrogé par les autorités que trois fois. Ses avocats affirment que l’interrogatoire porte exclusivement sur ses convictions et ses opinions politiques.
Il continue d’être détenu à l’isolement avec peu d’accès aux visites extérieures. L’isolement prolongé est reconnu comme une forme de torture par les Nations Unies. Sa famille est également incapable de lui envoyer de l’argent car leurs comptes ont été gelés après son arrestation.
Rayan Freschi, juriste français et membre de CAGE, a déclaré: “Le cas d’Abdelhakim Sefrioui reflète l’escalade inquiétante de la politique islamophobe du gouvernement d’entrave systématique qui persécute les musulmans en France. Voici un homme – dont l’innocence est implicitement reconnue par les autorités par leur refus de l’inculper et de le juger – qui est détenu dans des conditions proches de la torture en raison de son activisme inspiré par sa foi. A travers son cas, la France démontre son intolérance envers l’Islam et sa volonté totalitaire de faire taire tout désaccord exprimé par les musulmans.”
Vidéo
Dans la vidéo que Sefrioui a tournée devant l’école (qui a maintenant été démontée), il a déclaré : “Nous avons assisté cette semaine à la réponse d’un voyou qui est enseignant, à cet appel de Monsieur le Président de la République à haïr les musulmans, à combattre les musulmans, à stigmatiser les musulmans.”
La fille que Sefrioui a interviewée a déclaré dans la vidéo qu’elle était présente au cours de M. Paty, bien qu’elle se soit rétractée par la suite.
Elle a dit : “On était en train de faire un cours sur l’islam et mon prof, il a dit les musulmans ‘levez la main’… On a levé notre main et il a dit là je vais montrer une image, vous allez être peut-être choqués, donc si vous voulez vous pouvez sortir du cours.
“Du coup on a dit qu’on était humains comme tout le monde qu’on devait voir comme tout le monde la photo que vous allez montrer. J’ai refusé de sortir du cours. Il a montré la photo. C’était le prophète Mohammed, salla Allahou alayhi wa sallam, sans vêtements. Et il nous l’a montré comme ça. Du coup dans la classe on a tous été choqués. Même ceux qui n’étaient pas musulmans ils ont tous été choqués.
“Ils ne nous respectent pas – pour eux, nous ne sommes pas égaux, même si nous sommes humains comme eux. Alors que je parlais… il pensait que je dérangeais sa leçon alors il m’a exclue de l’école pendant deux jours. Eh bien, je suis déjà choqué qu’ils me montrent ça, un homme nu pendant qu’on fait des cours d’histoire. Ils ne nous respectent pas; ils ne nous voient pas comme les autres. Pourquoi montrent-ils cela à propos de notre religion?”
Le père de la fille a dit: “Assalamou ‘alaykoum à tout le monde. Voilà, j’ai décidé de faire cette vidéo pour vous dire en face que ma fille elle a été choquée suite au comportement de son prof d’histoire, je n’aime plus employer ce mot prof, c’est un voyou. Un voyou d’histoire qui est censé leur apprendre l’histoire et la géographie. Effectivement il a montré un homme tout nu, en leur disant que c’est le prophète. Il leur a dit que c’est le prophète des musulmans. Quel est le message qu’il a voulu passer à ces enfants ? Quelle est la haine? Pourquoi cette haine? Pourquoi un prof d’histoire se comporte comme ça devant des élèves de 13 ans?”
Abdelhakim Sefrioui a conclu: “Apparemment elles étaient au courant. Et que ça se faisait depuis 5/6 ans. Ça fait 5/6 ans que des enfants de 12/13 ans, des musulmans, sont choqués, sont agressés, sont humiliés devant leurs camarades. Parce que c’est ce qu’ils nous ont dit, ceux avec qui on a parlé. Donc on a exprimé notre désaccord et notre, je veux dire, stupéfaction de savoir que l’administration pouvait savoir ça et le tolérer. D’ailleurs, on nous a dit même que c’était sur le site du programme de l’école. Donc on lui a fait savoir une chose, c’est que nous, Conseil des imams de France, et les musulmans en France refusent catégoriquement ce genre de comportements irresponsables et agressifs et qui ne respectent pas le droit de ces enfants à avoir, à garder leur intégrité psychologique. Donc on exige, on a dit qu’on exigeait la suspension immédiate de ce voyou, parce que ce n’était pas un enseignant, un enseignant c’est autre chose, c’est une fonction qui a beaucoup de noblesse.
“Seulement à la fin de notre entretien, on a compris qu’il n’allait rien y avoir de la part de l’établissement. On nous a fait savoir ça. Mais elle nous a fait savoir qu’elle allait remonter l’information. Effectivement nous sommes partis de là-bas avec la ferme intention de mobiliser pour une action devant l’établissement et devant l’inspection académique.
“Effectivement, nous voyons le développement de cette machine qui s’emballe et que demain, peut-être que si jamais on accepte ça, demain, et bien on arrivera peut-être à ce qui s’est passé à Srebrenica, à ce qui s’est passé en Yougoslavie. Parce que c’est des gens qui vivaient très bien, qui vivaient ensemble, qui se mariaient entre eux, et à la fin ils sont arrivés jusque-là, ils ne pensaient pas. Comme aujourd’hui on ne le sait pas. Mais quand on entend le discours haineux du Président de la République envers les musulmans, ça laisse présager des jours sombres… Et je demande à tous les parents, partout en France, d’être très, très, très vigilants sur ce que suivent leurs enfants dans les cours.”
“Détention politique”
L’épouse d’Abdelhakim Sefroui a déclaré à 5Pillars que son mari est maintenu en prison pour des raisons politiques mais qu’il est néanmoins déterminé à se battre pour que justice soit faite.
Elle a déclaré: “C’est scandaleux parce qu’il y a d’autres personnes dans l’enquête qui devraient être en prison. Il y a quelqu’un qui est vraiment complice, qui a été en contact avec le tueur avant l’acte et qui l’a aidé dans son projet mais cette personne est libre, tandis qu’Abdelhakim est en prison depuis 21 mois à l’isolement. Il n’y a que moi qui lui rend visite ainsi que ses avocats. Pendant les quatre premiers mois, ils ont refusé de lui donner ses médicaments pour qu’il puisse dormir correctement. Il a vraiment souffert. Ils ont enquêté sur tout et il n’y a aucune raison de le garder en prison.”
Elle explique comment les médias français, et même internationaux, demeurent silencieux sur l’affaire par peur des autorités françaises.
“Les médias français ont couvert l’affaire au départ en omettant toute présomption d’innocence; ils ont accusé Abdelhakim de tout. Ils disaient qu’il était ‘le plus grand islamiste de France,’ qu’il était ‘longtemps suivi par les services de sécurité,’ qu’il était ‘intégriste’ et ‘radical.’ Nous avons contacté plusieurs fois les médias pour rectifier cette information et demander à faire valoir notre point de vue, mais ils ont refusé car il y avait interdiction de parler d’Abdelhakim. C’est de la censure.
“Nous ne leur demandons pas de prendre notre parti, nous leur demandons simplement d’imprimer les faits, de poser des questions, de consulter, de faire leur travail de journalistes, de dire la vérité. Mais ce type de journalistes n’existe pas en France. Et même au niveau international, nous avons essayé de contacter certains journaux célèbres en Angleterre, en Irlande, en Amérique et en Allemagne, même certains journalistes arabes établis. Personne ne veut parler, tout le monde a peur. Il suffit d’un journaliste pour se pencher sur le dossier, il s’agit peut-être de l’une des erreurs judiciaires les plus flagrantes du siècle. La France, qui critique Poutine, l’Afrique et le reste du monde, est aujourd’hui en train de faire quelque chose de très grave, ils ont mis un innocent en prison.”
Elle a ajouté que son mari est quelqu’un qui rejette l’ingérence de l’État français dans la vie des musulmans. Il croit que ce n’est pas à l’État d’établir ce qui est bon dans l’islam et ce qui ne l’est pas.
“Aujourd’hui, les musulmans de France ont peur, ils ne peuvent pas donner leur avis. Je répète qu’Abdelhakim est innocent, ils n’ont rien sur lui. C’est quelqu’un qui est convaincu de son innocence – son moral est bon, il est fort, c’est un homme qui croit en la lutte. Il a foi en Dieu et en la justice et il se bat pour prouver son innocence. Mais il demeure qu’il est dur d’être emprisonné, isolé de tout.
“J’exige sa libération totale et immédiate. C’est un cauchemar. Aucune dictature en Afrique, en Russie ou en Amérique latine n’aurait fait pire. Il faut faire savoir ce qu’a fait la France. Mais c’est le silence total, même à l’international. Nous avons absolument besoin de journalistes pour nous aider, si aucun journaliste ne pose de questions, ils continueront comme ça. Et cela fait déjà 21 mois.”
Here is the English version of this article.